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lundi 26 novembre 2012

L'Écho des Sirènes, octobre 2012

© Pierre Tissot
Ô lecteur — pour peu qu'il y en ait —, j'en appelle à ton indulgence, car cet Écho parce que tardif sera sans doute imprécis dans les faits relatés. Le chroniqueur, quand il délaisse sa chronique, a une vie qui, trop remplie, le détourne parfois de sa tâche première.

En ce mois d'octobre, j'arrive au Pôle des Métiers d'Art — notre désormais nouvelle salle de rendez vous — et, dès le dehors, je sens que les choses vont être différentes. Les baies sont occultées par des gélatines rouges et bleues. Je pénètre alors dans une pénombre colorée, des redingotes semblent atterrir depuis le plafond, des petites lumière sourdes éclairent les arêtes de meubles égyptiens, fauves à l'arrêt dans la pénombre des roselière du bord du Nil…

« Les musiciens ? 
— C'est en haut ! »
Ainsi sonne l'épitaphe de la genèse de ma rêverie : mon regard tombe sur une dame derrière un bureau, physionomiste s'il en est, qui à ma grosse malle sur le dos en déduit que je ne puis être le Père Noël. Le ton d'une amabilité de surface me pousse vers le long escalier qui mène à l'étage. J'y retrouve, comme dans une baignoire du Muppet Show, Michèle et Sylvia, qui font dans la dentelle en papotant chiffon. Après la bise, on me demande comment fut saluée mon arrivée au rez-de-chaussée. J'apprends que mes deux commères y furent reçues comme des malpropres, pour une question de salle sale laissée le mois dernier et d'une porte mal fermée. Bon, bon, si la porte mal fermée est, en effet, de mon point de vue, une grave erreur qui aurait pu avoir des conséquences, la souille décrite me parait être de la surenchère ; enfin passons, ce fut notre fil rouge pour chaque nouvelle arrivée avec, en fonction des paratgeaïres, des réactions différentes (étonnement, incompréhension, énervement, sourire triste, etc.).

Et balayez-moi toutes ces saletés, souillons ! © Jean-Brice

Relégués en hauteur, et malgré le confort de la pièce, nous en venions à regretter cette bonne Perle Noire, dont la distribution aléatoire des pièces et le côté dédaléen entraient plus en résonance avec nos instruments biscornus et nos rencontres initiatiques et où, au moins, nous côtoyions des œuvres plastiques dans une sensation de complémentarité. Mais, il est vrai, que certaines œuvres ont des impératifs d'assurance empêchant cette promiscuité, ce qui fit dire à un illustre dont j'ai oublié le nom que « les musées sont les cimetières de l'Art ».

Gilles nous rejoint, puis Marie, et nous voilà partis pour le premier atelier. Des gammes, des coups de chien, puis Don Jibé nous rejoint. On embraye sur l'apprentissage, ou la révision pour d'autres, de la seconde voix du "Ballet francese".
Depuis notre ermitage, on entend que ça s'agite en dessous ; le temps de venir nous saluer et nous rappeler les consignes de sureté, les dames du bas nous laissent « les clés du camion » comme on dit. Dommage pour Luc qui, venu de son clermontois profond, et tambourinant à la lourde, ne fut pas entendu par nos oreilles saturées de vielle à roue et s'en retourna bredouille sans rencontre de vielles, et nous, sans ratatouille. Au détour d'une descente dans la salle d'exposition, on voit le Pèr' Bruno venu nous faire déconstruire ; on lui ouvre, Pascal le talonne ; nous repartons au grenier pour discuter, et Sylvia, qui n'y tient plus depuis le début du Paratge, nous apprend qu'elle a une nouvelle vielle, sa nouvelle vielle, à nous montrer. Il y a chez le vielleux une part irraisonnée qui tient de l'émerveillement enfantin devant un camion de pompier ou une poupée (je vais encore me ramasser les féministes dans la truffe), lorsqu'on lui parle d'un nouvel instrument. À la queue-leu-leuleu, nous descendons l'escalier comme pour aller au pied du sapin, et nous sortons sur la petite place où arrive le Sergio.


Dans l'attente du camion de pompier, Pascal se donne un air au-dessus de tout,
Jean-Brice joue la star sur la Croisette, Pierre tente de se dissimuler dans le décor
© Michèle

Sonnez hautbois, résonnez trompettes, voici la vielle à… ben merde ! c'est quoi cet espèce de truc en carton, ni fait ni à faire ? On éclate de rire devant le kit vielle qu'elle prétend avoir conçu au fond d'une caravane. Certains comprennent qu'il y a canular (quelques happy few étaient au courant du montage depuis longtemps) et tous attendons la fin de l'histoire. 


Vielle à roue : n.f., espèce de truc ni fait ni à faire  © Michèle

Sylvia nous sort alors une vielle comme on débarquerait avec une vieille américaine tout en chrome et en carrosserie lustrée (je vous renvoie au faire-part de naissance pour les détails de la facture, instrumentale bien sûr). C'est la crèche ou la vielle tiendrait le rôle du petit Jésus, mais où il n'y aurait en guise de santons que des ravis. Et que ça tchache et que ça essaie sans oser y toucher, nous voilà partis pour une bonne heure à se passer le bébé et à discuter lutherie, luthiers, sons… au risque de me répéter, la magie du Paratge !

Sylvia et sa Dinota neuve © Jean-Brice
Serge le Pailladin © Jean-Brice


Pendant nos discussions, l'historiette du Pèr' Bruno revient sur l'abandon de la vielle à archet dans les monastères et les couvents pour l'aspect suggestif du va-et-vient de l'archet — je me dis, cependant, que la montée descente d'un poing enserrant une poignée n'a rien de suggestif et j'abandonne aussitôt cette idée parce que ça rend sourd. 
L'en-cas arrive, mais bien différent des deux fois précédentes, pour deux raisons : la mineure, la peur de laisser des miettes, on se sent épiés jusque dans nos taches sur la chemise ; la majeure, notre gourmand de service que l'odeur de cuisine attire invariablement à la même heure pourtant jamais la même, Patrice, n'est pas là. Parti, du côté de B'sançon ou de Pontarlier, pour aller cueillir la gentiane sous couvert de faire de la vielle à roue, il ne rejoint pas le Paratge ce soir. 
Après la tambouille et toutes les discussions en accompagnement, nous voilà repartis sur les routes de l'atelier. La rencontre se termine à une heure raisonnable, sans doute pour éviter de forcer le rodage de la nouvelle vielle, et nous nous quittons avec, au cœur, la prochaine rencontre.

Marie cherche les sept (mille) différences entre une Dinota et une Chougnard © Michèle


Proverbe d'octobre (Don Jibé) : « Le jeu n'en vaut pas la chanterelle. » 
À méditer.


Pierre.



NB : Je savais bien que j'allais oublier une foule de choses. Il y eut grande discussion sur "Le vielleur" de De La Tour exposé au Musée Fabre de Montpelier et devant lequel Pascal et moi avons pu bavé séparément. Je laisse à mon comparse de clavier et à son talent manifeste le soin de rédiger un article à ce propos, car pour un vieux de la vielle, ce tableau en est un beau.

PNB : l'article est à lire, sur le blog Les Pensées de Pascal.

Les vielleurs © Georges De la Tour

1 commentaire:

  1. Superbe article comme Pascal et Pierre savent le faire Tout y est dans le moindre détail, par contre un petit souci sur la photo de la belle dame qui joue de la vielle, à quelques mesures près on ne la voie plus derrière l'instrument. Je plaisante,
    Bonne continuation à toutes ces personnes qui écrivent ou joue de la roue

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